LEMONDE.FR | 03.02.11 | 19h19 • Mis à jour le 04.02.11 | 09h53
Le Monde republished interview with Glissant on his death in 2011 ...
Le grand écrivain antillais Edouard Glissant est mort le 3 février, à Paris, à l'âge de 82 ans. Poète, romancier, essayiste, auteur dramatique et penseur de la "créolisation", il était né à Sainte-Marie (Martinique) le 21 septembre 1928 et avait suivi des études de philosophie et d'ethnologie, à Paris.Click here for translation by Google
Nous republions ici l'intégralité de l'entretien qu'il avait accordé au Monde 2, en 2005. Il venait alors d’achever son dernier ouvrage “La Cohée du lamentin” (Gallimard).
Qu'entendez-vous par la nécessité de développer une "pensée du tremblement", à laquelle vous consacrez votre prochain livre ? Selon vous, seule une telle pensée permet de comprendre et de vivre dans notre monde chaotique et cosmopolite ?
Edouard Glissant : Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s'entrecroisent, des pans entiers de culture basculent et s'entremêlent, où ceux qui s'effraient du métissage deviennent des extrémistes. C'est ce que j'appelle le "chaos-monde". On ne peut pas diriger le moment d'avant, pour atteindre le moment d'après. Les certitudes du rationalisme n'opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre le chaos-monde.
Même la science classique a échoué à penser l'instabilité fondamentale des univers physiques et biologiques, encore moins du monde économique, comme l'a montré le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l'irrésolu, la crainte, le doute, l'ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles.
Pourriez-vous donner une définition de la "créolisation" ?
L'apparition de langages de rue créolisés chez les gosses de Rio de Janeiro, de Mexico, ou dans la banlieue parisienne, ou chez les gangs de Los Angeles. C'est universel. Il faudrait recenser tous les créoles des banlieues métissées. C'est absolument extraordinaire d'inventivité et de rapidité. Ce ne sont pas tous des langages qui durent, mais ils laissent des traces dans la sensibilité des communautés.
Même histoire en musique. Si on va dans les Amériques, la musique de jazz est un inattendu créolisé. Il était totalement imprévisible qu'en 40 ou 50 ans, des populations réduites à l'état de bêtes, traquées jusqu'à la guerre de cessetion, qu'on pendait et brûlait vives aient eu le talent de créer des musiques joyeuses, métaphysiques, nouvelles, universelles comme le blues, le jazz et tout ce qui a suivi. C'est un inattendu extraordinaire. Beaucoup de musiques caribéennes, ou antillaises comme le merengue, viennent d'un entremêlement de la musique de quadrille européenne et des fondamentaux africains, les percussions, les chants de transe. Quant aux langues créoles de la Caraïbe, elles sont nées de manière tout à fait inattendue, forgée entre maîtres et esclaves, au cœur des plantations.
La créolisation, c'est un métissage d'arts, ou de langages qui produit de l'inattendu. C'est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C'est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l'interférence deviennent créateurs. C'est la création d'une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l'uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques. Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littérature, cinéma, cuisine, à une allure vertigineuse…
Selon vous, l'Europe se créolise. Vous n'allez pas faire plaisir au courant souverainiste français…
Oui, l'Europe se créolise. Elle devient un archipel. Elle possède plusieurs langues et littératures très riches, qui s'influencent et s'interpénètrent, tous les étudiants les apprennent, en possèdent plusieurs, et pas seulement l'anglais. Et puis l'Europe abrite plusieurs sortes d'îles régionales, de plus en plus vivantes, de plus en plus présentes au monde, comme l'île catalane, ou basque, ou même bretonne. Sans compter la présence de populations venues d'Afrique, du Maghreb, des Caraïbes, chacune riche de cultures centenaires ou millénaires, certaines se refermant sur elles-mêmes, d'autre se créolisant à toute allure comme les jeunes Beurs des banlieues ou les Antillais. Cette présence d'espaces insulaires dans un archipel qui serait l'Europe rend les notions de frontières intra-européennes de plus en plus floues. * * *
* * *
Marc Chemillier, "Jazz, Africa and creolization: about Herbie Hancock. Interview with French Jazzman Bernard Lubat." Full version in French published in Les Cahiers du jazz, n° 5, 2008, pp. 18-50 (Éditions Outre-Mesure). http://ehess.modelisationsavoirs.fr/lubat/creolisation/
The purpose of this article is to analyze examples of traditional African music and to discuss with jazz musician Bernard Lubat (pianist and drummer who played with Stan Getz) whether or not one could imagine a cross-fertilization of jazz with this music. We shall also analyze recordings by jazz pianist Herbie Hancock presenting various kinds of fusion music including recycling of traditional African repertoires and we shall study what kind of meeting of jazz and Africa is actually realized in these recordings. According to the aesthetic of Bernard Lubat, these different kinds of meetings will be critized in relation to the concept of "creolization" of poet and philosopher Edouard Glissant. Here are a few statements by Glissant about creolization (available online):* * *[A native of Martinique, Glissant is teaching French Literature at the City University of New-York]
- The Caribbean is the exemplary model of interbreeding: "Take the example of West Indian music in which new rhythms are being born of the interaction with Africa and the United States. We are at the present time witnessing the "archipelagoization" of the Caribbean, which is exemplary and is moving in the direction of creolization. But the entire world is being creolized today."
- Creolization, which implies no domination, is the way to protect us from globalization: "Globalization is universality achieved through the lowest common denominator, through homogenization, through standardisation. It is the screen behind which new oppressions and dominations hide".
- Creolization is related to the impossibility of predicting and governing the world: "We now have to get used to the idea that we can live in the world without having the ambition to predict it or dictate to it. We should also get accustomed to the idea that our identity is going to change profoundly on contact with the Other as his will on contact with us, without either of them losing their essential nature or being diluted in a multicultural magma. "
Thomas Hylland Eriksen [University of Oslo], 2007. "Creolisation in anthropological theory and in Mauritius." In Creolization: History, Ethnography, Theory edited by Charles Stewart (Left Coast Press 2007). http://folk.uio.no/geirthe/Creolisation.html
very interesting, nuanced discussion of linguistic, anthropological language ... Eriksen argues for broader definition
“Creolization,” as the term is used by some anthropologists, is an
analogy taken from linguistics. This discipline in turn took the term from
a particular aspect of colonialism, namely the uprooting and displacement
of large numbers of people in colonial plantation economies. Both in the
Caribbean basin and in the Indian Ocean, certain (or all) groups who
contributed to this economy during slavery were described as creoles.
Originally, a criollo meant a Spaniard born in the New World (as opposed
to peninsulares); today, a similar usage is current in La Réunion, where
everybody born in the island, regardless of skin color, is seen as créole,
as opposed to the zoréoles who were born in metropolitan France. In
Trinidad, the term “creole” is sometimes used to designate all Trinidadians
except those of Asian origin. In Suriname, a creole is a person of African
origin, whereas in neighboring French Guyana a creole is someone who
has adopted a European way of life. In spite of the differences, there are
resemblances between the conceptualizations of the creole. Creoles are
uprooted, they belong to a New World, and are contrasted with that
which is old, deep, and rooted.
A question often posed by people unfamiliar with these variations is
“What is really a Creole?” They may have encountered the term in connection
with food or architecture from Louisiana, languages in the Caribbean,
or people in the Indian Ocean. The standard response is that whereas
vernacular uses of the term “creole” vary, there exist accurate definitions
of creole languages in linguistics and of cultural creolization in anthropology.
There are nevertheless similarities, although there is no one-toone
relationship, between the ethnic groups described locally (emically)
as creoles and the phenomena classified as creole or creolised in the
academic literature. ...
* * *
... The incorporation of Country & Western music into the standard cultural repertoire of rural southern Norway can accordingly be described as a process of creolization, just as the complex cultural dynamics, involving interaction among various groups of Europeans, Asians, Africans, and Native-Americans, leading to the emergence of a distinctive Caribbean cultural intersystem during and after slavery. ... (19)
Raymond Hickey. 1997. "Arguments for creolisation in Irish English." http://www.uni-due.de/~lan300/19_Arguments_for_Creolisation_in_Irish_English_(Hickey).pdf
JSTOR has "The World in Creolisation" by Ulf Hannerz, Africa: Journal of the International African Institute Vol. 57, No. 4, Sierra Leone, 1787-1987 (1987), pp. 546-559 (article consists of 14 pages) http://www.jstor.org/pss/1159899
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